Manon – Après un premier allaitement compliqué, je décide tout de même d’allaiter mes jumelles.

Quel était ton rapport avec l’allaitement avant de devenir mère ?

Pour ma première grossesse le choix de l’allaitement était pour moi naturel.

Cette image d’une maman qui allaite son enfant était une évidence, un lieu commun. Pas par conviction, ni par militarisme, plus par mimétisme.

 

On met au monde son enfant, puis on l’allaite…

 

Je savais qu’après la grossesse il y avait l’allaitement. On met au monde son enfant, puis on l’allaite, il grandit il s’émancipe et c’est comme ça.

De mon point de vue, l’allaitement c’était ce qu’il y avait de plus naturel, de plus évident, de plus animal.

J’allais rencontrer mon fils, l’approcher de ma poitrine, iI tèterait, se nourrirait, grandirait.

Au cours des différents rendez vous médicaux on m’a d’ailleurs très peu demandé quel était mon projet. Il y a eu un cours de préparation à l’accouchement consacré à l’allaitement, durant lequel la sage-femme m’a présenté les différentes positions, les a nommées, me les a enseignées avec un poupon. Merci, au revoir.

Puis j’ai accouché, j’ai accueilli mon fils par une tétée, la fameuse.

 

Comment se sont passés les premiers jours ? 

 

Et tout naturellement pendant notre séjour à la maternité je l’ai nourri. Je l’ai mis au sein en reproduisant ce que j’avais toujours vu. Je l’attrapais, le plaçais en madone, il tétait puis on alternait les seins …

3 jours à la maternité.

En seulement 3 jours, les soucis ont commencé.

Les douleurs, les sensibilités, puis les crevasses et enfin les saignements.

 

As-tu été aidé ?

 

Chaque mise au sein devenait de plus en plus douloureuse. Une sage-femme, une infirmière ont bien tenté de m’aider en pressant ce sein tel un jambon-beurre pour l’engouffrer dans la bouche de mon fils.

Une aide-soignante a constaté, elle m’a dit que j’avais des crevasses…

La douleur me l’avait déjà fait remarqué …

Et puis il y avait le numéro de la conseillère en lactation de la maternité noté sur le téléphone de la chambre. En dernier recours, parce que j’ai toujours le sentiment de déranger, j’ai fini par me décider à appeler. « J’ai pas le temps » m’a-t-elle répondu.

Loin de moi l’idée de la blâmer, elle, le personnel médical, leur manque de temps, de moyen ou de formation. C’était pas le bon moment, pas le bon endroit.

Et on est rentré à la maison. J’ai continué à allaiter, dans la douleur et l’appréhension. A chaque tétée je serrais les dents, je tenais le coup, pour moi, pour lui, pour ce lien qu’on essayait de créer. Quand la tétée se terminait je n’avais qu’une appréhension : la prochaine. Les minutes qui s’égrenaient et me rapprochaient de la prochaine mise au sein, de ces douleurs insoutenables m’angoissaient . Mais je m’accrochais à cet allaitement. Autant que je m’éloignais de lui, de peur qu’il me sente, qu’il sente l’odeur du lait, qu’il cherche à téter, qu’il refasse saigner ces crevasses à peine cicatrisées.

Les tétées étaient de moins en moins efficaces, pourtant il prenait bien du poids mais vidait mal mes seins.

Alors au matin de son 4ème ou 5ème jour, je me suis réveillée un peu mal en point, légèrement fiévreuse, patraque. Par chance c’était jour de visite de la sage-femme. Je lui ai dit que j’avais une température un peu plus élevée que d’habitude. Elle a examiné ma poitrine, elle a bien vu un petit point rouge et chaud mais elle ne s’est pas alarmée, moi non plus.

Si seulement j’avais su.

C’était le début d’un engorgement, d’une mastite.

J’ai tenu encore quelques jours d’allaitement, j’ai pleuré des litres et des litres. Je me suis rendue à la pharmacie pour acheter des bouts de sein pour essayer de faire cicatriser ces crevasses constamment à vif.

J’ai rencontré une pharmacienne pleine d’empathie, qui a remarqué mes yeux bouffis et mon désespoir, qui a laissé son comptoir et m’a fait assoir dans l’arrière boutique pour m’aider à installer mon fils au sein.

J’ai repris espoir, j’ai cru voir la lumière au bout du tunnel mais ça n’a pas duré.

 

J’ai décidé d’arrêter…

 

Je n’y arrivais pas. Chaque tétée restait douloureuse, un très mauvais moment à passer. J’ai décidé d’arrêter, j’avais déjà gâché trop de jours, les premiers jours de mon fils. Je ne rêvais que d’une chose, passer le relais, le biberonner sans douleur et tirer un trait définitif sur tout ça. Je ne voulais plus entendre parler d’allaitement.

J’ai essayé de le sevrer, je me suis rempli le soutien gorge de feuilles de chou pour tenter de stopper ces montées de lait que je n’arrivais pas à contrôler, j’ai cru que c’était terminé. C’était peut être que le début.

J’ai commencé à avoir mal, ce sein était douloureux, grossi. Ça a traîné.

Je l’ai montré à ma gynécologue paniquée, verdict : c’était un abcès.

Cette mastite mal détectée, mal soignée, ignorée, couplée à ces crevasses qui saignaient, tout cela avait empiré à tel point que c’était infecté. Il a fallu faire une écho, une ponction, des traitements antibiotiques mais comme rien ne fonctionnait il a fallu opérer.

 

 

et cette cicatrice, si difficile à regarder…

 

 

Ma première opération, ma première anesthésie générale et cette cicatrice, si difficile à regarder, à toucher, à accepter. Celle qui me renvoyait à cet échec, à ces douleurs, à ces angoisses.

Puis les mois et les années ont passé. J’ai fait le deuil de cet allaitement raté. J’ai pansé ces douleurs physiques et émotionnelles.

 

As-tu eu envie de retenter cette aventure après un tel parcours ?

Puis je suis tombée enceinte.

Et l’envie d’allaiter est tout de suite revenue.

Mais très vite ça m’a semblé compliqué parce que je ne portais pas un mais deux bébés.

 

Comment allaiter des jumeaux?

Je n’avais déjà pas réussi à allaiter mon fils, comme je pourrais parvenir à nourrir deux nouveau-nés tout en continuant à consacrer du temps au grand.

 

Mais je déteste l’échec.

 

Alors pendant 6, 7 ou 8 mois je me suis renseignée, documentée. J’ai lu des livres, des témoignages, des articles de blog. J’ai anticipé, je me suis préparée, j’ai rencontré une  conseillère en lactation, j’ai raconté mon passé comme pour l’exorciser. J’ai mis au courant le personnel de santé de mon projet.

C’était le moment de la naissance, une naissance par césarienne. C’est à priori pas ce qu’il y a de mieux pour démarrer un allaitement mais j’étais surmotivée.

Je n’avais pas pu mettre au monde mes filles naturellement, on ne me volerait pas mon allaitement.

J’ai demandé à ce qu’on me les amène en salle de réveil pour tout de suite les mettre au sein. Ce moment que j’avais imaginé, idéalisé. On y était !

Première tétée, très scolaire. Comme dans les livres, comme sur les illustrations, comme m’avait montré la sage-femme.

J’étais sûre de moi, c’est comme ça qu’il fallait faire.

Et pas question d’espacer les tétées, c’était open bar, cotetées et peau à peau à volonté.

 

J’étais confiante.

 

Puis les jours ont passé et les pesées se sont enchaînées. De perte de poids en perte de poids je commençais doucement à déchanter.

J’étais sûre des positions et pourtant ces vieilles garces de crevasses sont revenues me rendre visite, pas question pour elles ne pas figurer au casting de cette deuxième saison, accompagnées de ces douleurs que je reconnaissais et les saignements n’ont pas tardé.

Mais de ce côté là aussi je savais comment gérer : crème à la lanoline, patch cicatrisant, cataplasme de compresses de lait maternel enfermés dans du cellophane… j’avais tout prévu, j’étais prête à tout essayer.

Leur poids ne remontait pas, mon babyblues n’aidait pas. On frôlait la fameuse limite des 10% de perte. J’étais enfermée entre ces 4 murs, j’étais loin de mon fils, je comptais les jours avant de le retrouver et chaque jour on repoussait notre sortie. Il a fallu compléter à chaque tétée. Pas question pour moi de donner un biberon, j’étais trop bien renseignée. Alors on a utilisé le DAL, j’ai tiré mon lait, après chaque tétée mais je ne tirais pas assez. On a complété avec du lait artificiel, j’ai accepté tant que je gardais les tétées. Et on m’a expliqué les conditions, si je voulais sortir, je devais tirer autant que ce que je donnais en complément.

Je n’arrivais pas. J’en pouvais plus. Ça faisait 5 jours que j’étais là, 5 jours que je pleurais je voulais sortir.

 

 

 

Alors à contre cœur et à chaudes larmes j’ai accepté de leur donner un biberon.

 

J’ai fait téter un bébé pendant que papa biberonnait. 

 

Ça a été dur à accepter j’avais tellement entendu parler de cette fameuse confusion sein/tétine. Pour moi c’était sûr, elle allait se détacher du sein et lui préférer le biberon.

Mais on a pu sortir, j’ai retrouvé mon petit garçon, mon grand amour, mon moral s’est amélioré et on a continué les tétées, toujours complémentées, et toujours alternées avec des biberons.

 

Puis on a eu la visite sage-femme et on a pu contrôler leur poids. Je voulais être rassurer, cette fois c’était sûr, elles avaient bien grossi.

Mais voilà que la balance n’était pas de cet avis. Nouvelle baisse de poids. « On recontrôlera demain, on ne s’affole pas » m’a rassuré la sage-femme.

Le lendemain, même constat.

Alors là, hors de question de mettre en danger la santé de mes filles pour mes convictions. C’était terminé l’allaitement, on allait les passer à 100% au biberon et elles allaient se remplumer. C’est ce que disait ma bouche, alors que ma tête disait tout le contraire. Mes derniers bébés, ma dernière chance de réussir l’allaitement, de prendre ma revanche, de ne pas rester sur un échec.

Je ne voulais pas baisser les bras et pourtant je souffrais de ces seins écorchés, de ces tétées douloureuses.

« Tu as essayé les bouts de sein » m’a demandé la sage-femme.

Oh non malheureuse, j’ai pensé. Sur ça aussi j’étais trop bien renseignée, je savais que ce n’était pas recommandé, que ça ne stimulait pas assez. Mais par politesse j’ai dit ok. Elle m’a tendu cette boîte, j’ai essayé et là, Ô miracle plus de douleur, plus de mâchoire serrée, juste un bon moment à partager avec mon bébé.

Et puis il y a eu le Covid, la gastro, la fatigue… le chemin est souvent semé d’embûches.

 

J’ai pensé mille fois à arrêter d’allaiter et mille et une fois j’ai voulu continuer.

 

Notre parcours n’est pas parfait, il est loin de l’image lissée de ce que peut nous renvoyer Instagram. Notre parcours n’est pas banal, il ferait frémir plus d’une animatrice de la Leche League mais c’est notre histoire.

Je suis allaitante, biberonnante, tire-allaitante. Je suis peut-être tout ça à la fois, mais surtout je suis leur maman et ils sont ma force.

 

Manon

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